Delphine Diallo – la femme du futur

Delphine Diallo – la femme du futur

Elle est photographe, française, sénégalaise, femme avant tout. Delphine vit à New York depuis dix ans. Deux heures de discussion, c’est comme casser des barrières à bras le corps. Ce sont les barrières liées à l’identité, au genre, au sexe, ce sont les ailes des femmes que l’on coupe.

Est ce que tu peux commencer par raconter pourquoi New York ?

A Paris, j’étais perdue dans un système où personne ne voulait vraiment accepter d’autres cultures. Bien que tu pouvais voir une diversité dans la rue, cette diversité tu ne la voyais pas dans les milieux créatifs. Tout le monde était français, blanc et j’étais la seule fille noire où que je travaille. Après 4 ou 6 ans, c’était devenu impossible. J’ai dû arriver à New York pour me rendre compte de cette stupidité.

En marchant dans la rue, en allant dans les magasins, en étant avec mes amis, je voyais le melting pot. Je voyais des personnes de différentes couleurs, de milieux sociaux différents et tous travaillant dans toutes sortes d’industries. A Paris, il n’y avait pas non plus de structure qui me permette d’être freelance. A un moment donné, je me suis dit il faut que je me barre. A Paris, je signais la mort de mon évolution.

Tu pars donc pour redéfinir ta vie.

J’étais à un moment de ma vie où ça n’allait pas dans ma relation. J’étais avec un homme depuis 13 ans. J’étais dans le système patriarcal. J’acceptais le pouvoir et la domination de l’homme en le soutenant lui avant moi. Quand j’ai rencontré mon mentor Peter Beard, il m’a sortie de cette psychose. Peter Beard a vu mon talent. Il m’a proposé d’aller avec lui au Botswana. Quand je suis revenue, mon ex me m’a pas reconnue. La Delphine innocente était partie. Ça y est je commençais à être libre. Une amie m’a hébergée, ce qui m’a permis de trouver un boulot dans un resto et de ne plus retomber dans les boîtes de production, de ne plus avoir des gens qui m’exploitent. J’ai eu la liberté de m’arrêter et de penser. Bosser dans un resto, ça m’a permis d’étudier les gens, ce qui m’a aussi aidée à être meilleure photographe. Je partageais avec les mexicains avec qui je travaillais. J’apprenais de leur vie, de l’histoire de tout le monde, des américains… le story telling d’une vie au restaurant. Il y avait beaucoup d’amour et d’échanges. Il n’y a pas ça dans les bureaux. J’avais l’impression d’ être rattrapée par une autre dimension de la réalité, que je comprenais enfin la vie.

IMG-20200718-WA0030.jpg

Est-ce qu’aujourd’hui tu sens que tu es arrivée au bout d’un cheminement ?

Oui, surtout au bout de 10 ans quand j’ai eu 40 ans. C’est pas forcément la projection que j’avais de moi à 30 ans mais je me suis sentie satisfaite d’avoir eu un rêve alors que j’ai commencé avec que dalle. 30 ans, pour moi, c’est la premiere opportunité de définir qui tu veux vraiment être en tant qu’homme ou femme.

Cette recherche de l’identité semble aussi être l’essence de ton travail.

Pendant dix ans, mon travail a été à la recherche de l’identité multiculturelle. Tout le monde est divisé. Tout le monde est dans des boîtes. Faire que les gens soient « un-divisés », c’est une sacrée mission. Mon travail ne parle pas de blackness. Je dois souvent dire « arrêtez de me poser des questions sur les noir.e.s. » Mon travail parle d’unité. J’utilise des gens du monde mais je n’ai jamais pointé ou posté en disant elle est noire. Les gens me disent « oui mais elle est noire » et moi je dis « c’est toi qui vois qu’elle est noire. » C’est une vision extérieure sur le noir. Je suis noire mais à l’intérieur de moi c’est pas noir. Je veux transcender tout ça. La vie que je mène, c’est l’application de l’esprit multiculturel.

Dans les gens qui m’entourent, il s’avère qu’il y a des blanc.he.s et des noir.e.s et voilà. Je peux t’emmener voir des potes juifs de Tunisie et des juifs américains à Tribeca, ensuite voir mes amis afro-américains et africains, puis à une soirée mexicaine-cubaine. J’ai créée un passage de culture dans lequel tu vas forcément tomber amoureux des autres.
L’exposition à Arles « symbole invisible » est l’aboutissement d’un travail de dix ans sur le mélange des cultures, l’identité du métisse et le métissage du monde. Symbole invisible, c’est l’unité que tu ne vois pas. Le pouvoir de la femme que tu ne vois pas. Pour ce travail, il y a toute une intimite partagée avec ma mère qui me prend en photo et que je prends en photo. Mon intérieur, tant mes profondes douleurs que mon pouvoir sont invisibles. C’est ma mère qui les exprime dans cette exposition. Par exemple, les gens pensent que je suis noire et ils ne s’attendent pas à voir une mère blonde en photo. Le symbole invisible, ce sont donc differentes realités dont on ne se rend pas compte.

IMG-20200718-WA0026.jpg

Tu sembles dire que l’identité de femme est celle qui réunit au delà de toutes les autres identités ?

J’ai laissé le montage et l’édition des photos d’Arles à une femme et j’ai adoré ce qu’elle a réussi à comprendre en moi. Elle l’a compris en tant que femme même si elle est française et blanche. On s’en fiche. Elle m’a comprise. Ça ne changeait en rien que je sois noire. Le changement va passer par la femme. C’est elle qui peut transcender la race et unifier l’identité. La psyché d’une femme est la même. Si je t’exprime ma vulnérabilité, tu vas ressentir la même chose même si du fait des personnalités, il peut y avoir quelques differences.

A travers la photo, comment penses-tu arriver à une montée en puissance des femmes ?

Nous avons besoin d’exprimer le rêve de la femme et ce n’est que le début parce que je ne le vois pas, je ne l’ai pas vu et je l’ai construit moi même. Si tu me disais aujourd’hui qu’elle serait la plus grande aventure de la femme, ça serait de voir les femmes devenir visionnaire en nombre. Il faut la vision de la femme dans la réalisation, dans les films, etc. Il faut aussi des visionnaires dans tout ce qui fait la société, l’éducation, etc.

J’ai réalisé un jour que je n’avais pas assez pris de photos de femmes. C’est devenu une obsession. D’où le projet Women of New York. Women of New York, c’est 9 ans de travail avec 5 sessions de photos sur un an. Il n’y a pas eu de sélection. J’ai lancé un appel sur instagram et les femmes m’ont contactée. Je ne pensais pas avoir autant de réponse. Pour chaque femme sur ces images, je vois un potentiel incroyable. J’ai révélé quelque chose qu’elles avaient en elle. Certaines femmes ne sentaient pas bien ce jour là, et elles ont exprimée leur douleur. Elles ont quand même posté leur image en disant « j’assume ma douleur ».

IMG-20200718-WA0028.jpg

Tu aimerais que chaque femme arrive à trouver sa force mais comment ?

Le monde est d’une violence monstrueuse et les femmes prennent comme des éponges. Il nous faut une passion dans laquelle il peut y avoir une libération, une sortie de ce qui est interne. Pour moi, ça a été les arts martiaux. On ne se rend pas compte de la force des femmes. La femme, c’est une créatrice et ça peut être de n’importe quoi. Même l’avocate qui m’a aidée a sauvé mon lieu de vie est une créatrice. Dès qu’on s’est rencontrées, elle m’a demandée si j’étais immigrée et célibataire. Elle était en mission et elle savait pourquoi elle était là. Et pour moi c|est la plus belle des créations de trouver pourquoi tu es la.

Quels sont les obstacles dans cette découverte ?

Si t’as toujours envie de t’occuper des autres sans savoir qui tu es.

La femme du futur, si tu devais la dessiner ou prendre photo ? Qui elle est, comment elle est ?

La femme du futur, elle n’a plus peur de la mort. Elle n’a plus peur de la vie. La femme du futur, elle peut tout changer. Elle a un rôle et une mission parce qu’elle donne la vie. Et, c’est la responsabilité de la femme de décider si elle a envie de donner la vie ou pas. C’est pour ça que je n’ai pas encore d’enfants. Je veux bien créer la vie si c’est avec une personne avec qui on peut transformer le monde plutôt que de penser à la survie de l’espèce.  

La nouvelle génération de femmes, c’est pour moi le futur. J’espère que les femmes transformeront leur société.

Propos recueillis par Roxane Cassehgari

Photos par Haruka Sakaguchi

Previous
Previous

Iara Lee veut toucher les coeurs

Next
Next

Mai Hua, à flots