Iara Lee veut toucher les coeurs

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Iara Lee veut toucher les cœurs

Deux bises sur les joues. Elle est comme ça Iara Lee. Elle envoie des petits cœurs par mail et l’ouvre grand, son cœur. Nous la rencontrons à Paris, quelques jours après la projection de son film Burkinabè Rising : the art of resistance in Burkina Faso organisée par Belleville citoyenne (19e arrondissement). Un tournage en Mongolie se profile en août, tandis qu’elle vient de finir celui au Lesotho avant de filer au Suriname pour la promotion de son court-métrage sur le Burkina. Entre la réalisation, le travail humanitaire avec sa fondation Cultures of resistance et l’activisme pacifique, Iara Lee est sur tous les fronts !

Elle n’est pourtant pas bienvenue partout, les moustiques et le paludisme le lui rappellent parfois. Peu importe, persévérante et sereine, elle dédie sa vie entière à la jeunesse : magnifier les initiatives des uns, à travers ses films, et éveiller les autres à la résistance créative. Avec sa modestie peu commune, ses rires et son petit accent portugais, cette artiste force le respect.

Programmatrice au Festival du film de Sao Paulo pendant les années 80, la Brésilienne d’origine coréenne a, depuis, signé 8 films et adopté un mode de vie nomade. La globetrotteuse, cheveux courts et bijoux en wax, choisit toujours les vêtements les plus légers possibles pour ne pas encombrer son sac à dos. Et ses destinations sont off the beaten path, en-dehors des sentiers battus, comme elle dit. Ce jour, c’est donc une exception d’être ici en Europe. Iara Lee espère y « toucher au moins un cœur » quel que soit le public, une salle de 50 ou 500 personnes. Rencontre avec une spécialiste du partage.

Quel accueil votre film a-t-il reçu dans le quartier de Belleville ?
Il faisait froid et l’organisateur a oublié que c’était le ramadan, mais finalement il y avait plein de monde. Les enfants ont eu du pop corn. [rires] J’aime montrer mes films dans des quartiers un peu difficiles. Burkinabè Rising a aussi été projeté le 12 mai pendant la première édition du festival organisé par Nothing but the wax, dans le 18e, et il y aura Une semaine eurafricaine au cinéma, en juin. Par hasard, Paris nous aime ! On connaît seulement la famine, les guerres, la corruption en Afrique mais pas les langues, les ethnies, les manières de penser. Je veux valoriser le côté positif de l’Afrique et sa culture, très vivante.

D’où votre intérêt pour la résistance créative ! Qu’entendez-vous par là exactement ?
La créativité est notre seule source de pouvoir contre le terrorisme d’Etat. Au lieu de perdre espoir ou d’utiliser des bombes, les Burkinabè ont chassé le président en 2014 (27 ans de fonction), à coups de hip hop, de slam ou de design. La population entière s’est engagée. Ce n’est pas juste de la théorie, c’est un exemple concret qui montre que même si dénoncer, c’est bien, on sait tous ce qui est mauvais et l’analyse politique seule n’engage pas les jeunes. Ils sont plus intéressés par l’art, la culture, le mixed media. Ça reste difficile car la jeunesse s’attarde parfois derrière les écrans et il faut pousser pour les faire sortir. L’activisme ce n’est pas seulement like and share. Au Lesotho, la population est enclavée en Afrique du Sud et souffre d’un complexe d’infériorité, mais elle est créative aussi. Les musiciens jouent en faveur de l’écologie et pour engager les jeunes. Mélanger les formats, c’est bénéfique à l’activisme.


greece iara lee by green door Courtesy Cultures of Resistance network.jpg

Donc le court-métrage tourné au Lesotho s’inscrit aussi dans cette série sur l’engagement créatif ?
Oui, From trash to treasure n’est pas juste un film, c’est comme une philosophie. On a rencontré une femme qui fait littéralement ça : elle va aux poubelles et crée des bijoux ou des vêtements. On montre comment transformer le négatif en positif au lieu de se plaindre et désespérer. Le second film tourné au Burkina portera lui sur l’agro-écologie. La première se fera au festival de Slow Food International, cela fait longtemps que nous travaillons avec cette organisation. Ses partenaires au Burkina sont très engagés contre Monsanto et les OGM ; ils veillent à la protection des graines et à la souveraineté alimentaire.

La cause environnementale est très importante pour vous ?
Notre nourriture est empoisonnée, on ne sait plus quoi manger ! La viande et les hormones, le poisson et le mercure, les fruits et les pesticides… L’environnement c’est la base de tout et tout le monde mange ! Alors j’espère que le film va toucher un large public. Toutes les destructions sont causées par l’homme. On a la technologie mais pas la sagesse. La fin arrive mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer de retarder le processus d’autodestruction. Je suis pour la défense des innocents, ceux qui ne peuvent pas du tout riposter. Si tu coupes dans l’Amazonie, qu’est-ce que les arbres peuvent faire ? Qu’est-ce qu’un poisson peut faire contre les produits chimiques ? Ou un enfant face à un mariage forcé ?

Notre patrimoine, c’est aussi la diversité culturelle…
Même si je suis moi-même issue de la mondialisation, j’ai beaucoup de respect pour les autochtones, les indigènes dont les cultures représentent ce qui triomphe à ne pas disparaître. Tout est devenu si homogène. C’est pourquoi il est important de manger et voyager ensemble, de connaître la musique d’autres pays, de créer des liens. C’est difficile de s’engager lorsqu’on est distant. La solidarité arrive avec la proximité. Mon film en Mongolie portera sur le nomadisme, la curiosité humaine, la liberté d’esprit. Je tourne souvent dans des pays en conflit mais j’ai aussi beaucoup d’intérêt pour l’ethnographie, les cultures indigènes et la diversité culturelle. J’essaye de montrer qu’il faut la respecter, sinon le monde entier serait ennuyeux ! Il y a des minorités qui sont écrasées et moi j’essaye de les célébrer. Si on ne rapporte que les guerres, les gens sont comme anesthésiés. Montrer la beauté d’une culture est plus efficace pour toucher les cœurs. 

En tant que femme, vous êtes-vous déjà sentie freinée dans votre travail ?
Faire partir d’une minorité, c’est positif de nos jours et puis j’essaye toujours de tourner cette condition à son avantage. On me voit comme une femme et une « Chinoise », donc je ne suis pas menaçante ! Je peux rentrer dans des territoires occupés. Alors oui, je suis tout le temps victime de misogynie ou de racisme, mais cela ne m’atteint plus. L’ équanimité c’est l’état d’esprit où tu n’es pas vulnérable au niveau émotionnel. Aujourd’hui je ris devant les mails d’insultes, avec des noms d’oiseaux inimaginables. Avant j’étais plus sensible, maintenant tu peux me mettre en prison, me déporter et même pire, je reste forte. C’est très important pour survivre. Par trois fois mon profil Facebook a été supprimé et à chaque fois c’est 5000 contacts disparus. J’avais écrit sur les crimes de guerre et les armes chimiques en Israël. Leur objectif c’était de me faire quitter les réseaux sociaux ; il faut le voir comme un compliment, ça veut dire que je les gêne. Alors dorénavant je prolifère et j’ai quatre profils. Les empêchements doivent nous encourager à être plus forts.

Quelles femmes engagées vous inspirent ?

La plupart du temps elles sont anonymes. Par exemple ces femmes qui cachent des médicaments dans leur vêtement en Syrie. La guerre fait ressortir les plus mauvaises choses mais aussi les plus incroyables et courageuses. Sinon il y a Wangari Muta Maathai au Kenya. Elle a fait de la prison pour ses actes de reforestation jugés trop révolutionnaires et dangereux. Puis elle a gagné le prix Nobel de la paix et a été ministre. Elle m’a dit qu’à chaque discours, elle commençait par l’histoire du colibri qui fait sa petite part pour éteindre le feu dans la forêt. Moi je suis un colibri mais parfois, à l’aéroport, je me fais arrêter car on me prend pour une terroriste. Je ne peux plus aller en Inde car il paraît que je suis une menace pour la sécurité du pays ! Je ne savais pas que j’avais cette « puissance ».

A ce sujet, quelles sont vos principales qualités ?
Je m’adapte, j’improvise et je crois que je suis très intuitive. Au festival de Sao Paulo, je cherchais des nouveaux talents et aujourd’hui j’aime travailler avec des activistes « débutants ». C’est excitant de découvrir des personnes et de nouveaux projets. Moi aussi au début j’ai été soutenue ; mon premier film était avec Matt Dillon, j’ai aussi collaboré avec Allen Ginsberg et Robert Redford a montré mon premier film d’étudiante !

Avez-vous des regrets sur certains aspects de votre vie ?
Je crois qu’il ne faut pas avoir de regrets ! Il y a eu des choses difficiles bien sûr mais j’ai pris mes décisions de manière très consciente. Par exemple, j’ai choisi de ne pas fonder de famille car je suis nomade et je vais dans des pays en guerre… C’est une décision responsable, non ? Comme je suis toujours à l’oeuvre, je n’ai pas non plus de vie personnelle mais on ne peut pas tout avoir !

De quoi êtes-vous la plus fière ?
Je travaille tout le temps pour promouvoir la solidarité. C’est mon moteur. Nous sommes 7 milliards, imagine si on s’unissait ! Le problème c’est que le système te pousse à être esclave, il faut travailler pour manger et ça nous empêche de voir l’essentiel. Il faudrait donner de l’utilité à l’argent, le redistribuer, le partager. Pour financer mes projets, je fais des investissements socialement responsables en bourse (énergie renouvelable, projets à impact social, etc.) alors qu’on me disait impossible de faire de l’argent avec de bonnes choses. Cela me permet aussi d’être autonome pour que mes films ne soient pas coupés et censurés. Mes envies aujourd’hui ? Il est temps de vraiment aider la jeunesse. Il faut donner, donner, et l’encourager car elle est l’héritière de la poubelle que nous avons créée.



Propos recueillis par Emilie Drugeon

Photos courtoisie Cultures of Resistance network

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