Gasandji, le voyage des possibles
Ouagadougou. La silhouette longiligne débarque d’un air pressé à l’espace Napam beogo de Gounghin, quartier populaire et artistique de la capitale burkinabè. Gasandji, foulard noué sur la tête, est en retard pour son rendez-vous. La faute à un planning surchargé. Elle encadre des enfants pour le compte d’une ONG suisse Enfants du monde sur plusieurs activités prévues dans le cadre du festival Rendez-vous chez nous qui se tient à deux pas de là. « Sans éducation on va droit dans le mur. C’est vital de pouvoir toucher ça parce que les enfants sont les citoyens d’aujourd’hui et de demain et ce n’est pas demain qu’il faut le faire », martèle-t-elle. Gasandji se consacre depuis un moment à des projets d’éducation touchant à l’enfance, l’apprentissage et la transmission. « Il faut donner cette liberté d’écouter pour pouvoir entendre les messages des plus jeunes », explique-t-elle.
Native de Kinshasa, c’est à 13 ans qu’elle arrive en France et se passionne très vite pour la danse. Professionnelle à 18 ans après deux années d’efforts acharnés, elle finit par atterrir dans la musique. La voie idéale pour partager ses émotions. Une école de jazz, une chorale gospel, des rencontres dont celle avec Lokua Kanza, vont forger l’artiste à fleur de peau qu’elle est. Sa musique raconte des histoires réelles qui touchent tout le monde.
Artiste à multiples casquettes, auteure, compositrice, créatrice d’émotion, Gasandji aime le voyage et s’investir dans tout ce qui est partage à travers la création.
“L’art m’a tellement apporté, m’a permis de rencontrer l’autre par le cœur. L’autre, c’est un miroir. J’aime qu’on puisse se toucher, se comprendre, même si les mots ne se ressemblent pas on a une histoire en commun.” raconte-t-elle
« A travers la création, je trouve qu’il y a une espèce de langage où tu peux toucher tout le monde, où tout le monde peut te comprendre, même en abordant des sujets lourds ou tabous, tu peux toucher l’autre », confie-t-elle. L’émotion, le partage, ce sont ces moments qu’elle chérit par-dessus tout comme à l’évocation de ce souvenir, celui où à l’issue d’un concert au Vietnam, une dame vient la voir en larmes pour la remercier du message transmis par sa musique alors qu’elle n’en comprenait même pas une parole.
« Cette rencontre avec les Aka a changé ma vie. Psychologiquement, physiologiquement, émotionnellement, ça a changé ma vie, même la façon de transmettre ma musique », révèle-t-elle. Sur une plage d’une heure en continu, l’album Le Sacré dont elle n’a pas souhaité signer la pochette, est imprégné de cette expérience. « J’ai eu à questionner la façon dont j’ai envie d’être artiste, la façon dont j’ai envie de transmettre l’art que je suis en train de faire. » Tout son univers bascule. Un grand chamboulement qui lui a donné accès à elle-même, lui permettant de se connaître plus profondément, de connaître son alignement personnel. « Là fusent les questions : est-ce que tu es influencé par ce qui t’entoure ou es-tu influencé par toi- même? C’est la question qui s’est posée après ce disque dans lequel je parle de ma vie d’épouse, d’artiste, ma vie de mère, ma vie d’amante, ma vie de sœur, qu’est-ce que ça va bousculer ? Mon rôle de mère, mon rôle de femme avec mes filles. »
Partir en Afrique, c’est retrouver les odeurs, les sourires de son enfance. « L’Afrique c’est la maison que tu retrouves, tes racines, pour reprendre une bouffée d’oxygène », concède-t-elle. 25 ans après avoir quitté Kinshasa, Gasandji n’est toujours pas retournée dans son pays natal même si pour elle, ce passage reste imminent. Pour ce voyage des possibles avec ses filles, Gasandji questionne tout autant sa connexion avec elles que le regard des femmes qui doivent être dans une sorte d’évolution d’elles- mêmes. « On prend ses enfants, on les déscolarise, si on n’est pas d’accord avec le système, on se responsabilise, on leur donne ce que l’on croit bien pour eux. Après ce n’est pas question de bien ou de mauvais, il n’y a pas de comparaison à faire, c’est juste sentir comment les choses doivent se passer pour eux. Ce n’est pas un concours entre homme et femme, mais la femme que je suis a cette valeur-là, elle l’assume, le dit et c’est beau. Là je suis à ma place et je trouve que c’est extraordinaire. » Et c’est une chance en effet.