DJ Cheetah, de l’envie à l’ovni

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De l’envie à l’ovni

Elle a adopté Paris et en a fait son terrain de jeu. Marina Wilson pense collectif et cherche continuellement à se surprendre elle-même, en embarquant dans son sillage toute la culture afro-contemporaine. Une touche-à-tout, une multipotentielle qui n’a pas fini de nous faire danser. 

Ce jour de septembre, Marina Wilson annonce deux nouvelles sur son compte Twitter. Un, la sortie d’une première compilation Trap Africa Tapes, deux, son invitation à la Sunday, à Abidjan. « C’est la première fois que je vais jouer en Afrique. » Marina se dévoile volontiers, mais avec pudeur, sous le couvert de son chapeau kaki en feutre et de ses lunettes rondes, dorées, aux verres teintés. Cheetah, c’est DJ Cheetah son alias, sa seconde peau, celle du guépard dont elle emprunte le nom anglais dès le collège, comme la promesse d’une vie future faite de beats, de danse, de créations ; un animal dont elle associe la vélocité à sa « capacité à assimiler infos et compétences ».

La trentenaire est au centre de projets qui poussent comme des champignons, via la Black Brain Agency, un collectif de cinq amis créatifs. Le média Black Square sort de terre en 2015. Il vise à promouvoir la créativité de la communauté afro-caribéenne. Le Black Square Club, lui, est une émission radio enregistrée une fois par mois dans les locaux de Rinse FM. Avec deux autres animateurs, Marina Wilson y partage ses coups de cœur musicaux, littéraires ou cinéma ; elle y parle mode, société et lifestyle. Et depuis février 2019, une simple playlist s’est métamorphosée en dj sets avec des artistes d’origine ivoirienne, gabonaise, camerounaise comme elle, ou encore sénégalaise. Les salles sont parisiennes : Alimentation Générale, Glazart, le Chinois, le Hasard ludique… Toute l’Afrique francophone réunie pour créer un mouvement autour des cultures afro-urbaines. Et montrer à quoi correspond la musique qu’on accole à ce mouvement.


Multipotentialiste


Jusqu’à ses 21 ans, Marina Wilson vit au Cameroun. Elle y suit un parcours en marketing international et digital, puis poursuit des études de commerce en France en 2010. De son pays, elle a conservé une forme de vigilance aux autres, « ici tout le monde est très concentré sur soi, là-bas nous veillons sur chacun ». Ses yeux scannent alentour, tout le long de notre entretien. « Ceux qui me connaissent depuis le Cameroun ne sont pas surpris de ce que je fais aujourd’hui. A l’université, la danse, le beatmaking, le graphisme, le rap etc., étaient mes échappatoires à un monde académique empreint de compétition. J’ai toujours été un ovni car on ne comprenait pas comment je faisais tout ça. » Marina est toujours en recherche de nouvelles idées. On imagine mal son cerveau turbiner sans cesse : elle paraît si tranquille ! En filigrane de cette émulation, son ambition est surprenante : « Je voudrais que nous soyons moins spectateurs de notre environnement, je veux démocratiser la créationSi je peux inspirer d’autres personnes c’est tant mieux ; j’encourage les djs à lancer leurs propres soirées. Tout le monde devrait être dans l’action, tout le monde a la capacité d’être multipotentialiste. »

Un souffle de nostalgie


Son premier matériel de dj, elle l’achète sur Cdiscount avec l’argent avancé par sa maman. Cette dernière vit quatre ans avec elle à Paris et partage toutes ses aventures. Ou tout ce que Marina laisse derrière elle : famille et… hip-hop, si important jusqu’alors. Pas facile de trouver un nouveau groupe. « Il y a une blague qu’on aime bien faire : quand tu viens d’ailleurs et que tu arrives en France, il te faut au moins trois ans pour comprendre où tu es ! Les trois ans sont passés et je me suis dit que j’allais passer à autre chose. » L’opportunité vient d’elle-même ! La Black Brain Agency signe un partenariat avec des amis, les organisateurs du Black Movie Summer, qui associe projections de films et dj sets. « Ils m’ont demandé si je pouvais ramener des djs et j’y suis allée moi-même. C’était un pari, et ça venait aussi du fait que j’avais énormément de frustration à évacuer à cause d’une année un peu pourrie. »


Le son de DJ Cheetah, à la Bellevilloise, organisateurs, exposants et public en redemandent jusqu’à la closing. « C’est de là que tout est parti. Le djing, c’était la belle surprise de ces cinq dernières années. » Mélange d’afrobeat, de kuduro angolais, de baile funk brésilien, de dancehall, de gqom sud-africaine… Sa musique, c’est de l’afro-diasporique. De la trap remixée en afro. » Marina coupe son flow : par la fenêtre du café où nous nous trouvons, elle croit reconnaître un youtubeur et chanteur anglais. Et de reprendre, « j’essaye de m’inspirer de la manière dont le hip-hop nous fait rêver. Comment les Afro-Américains ont réussi à diffuser une culture qui est devenue un lifestyle pour certaines personnes. Car généralement quand on parle de ce qui touche à l’Afrique, c’est toujours un peu vieillot (no disrespect !), la musique folklorique, etc. Ce n’est pas un problème, il y a un public pour ça. Mais tu as toute une jeunesse qui ne demande qu’à s’exprimer. » Festival Afropunk, été 2019, DJ Cheetah envoie des morceaux anciens de Coupé-décalé. Un souffle de nostalgie.

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Culture afro-contemporaine 

Ce monde de la nuit, Marina « y est sans y être », comme elle aime le dire, énigmatique. Rapidement, la guéparde remarque qu’il n’existe pas de lieux estampillés afro-urbains à Paris. Elle est bien souvent la seule femme dj noire. « Au début on te néglige, tu es un bouche-trou, mais à force de détermination, tu arrives à prouver que tu es douée. » Veste en jean, bermuda, t-shirt et chaussettes orange, elle porte une simple bague qu’on devine chère à ses yeux. 

Demain, Marina Wilson compte écrire un livre de recettes façon « fast-food africain », organiser des masterclass pour partager des tips et des outils créatifs avec toute personne désireuse de se lancer dans une aventure artistique ou digitale, elle poursuit également son autre projet de média, Afro FC, sur le foot africain, avec événements et matchs ; reste aussi Afrolexicon, un livre valorisant les expressions africaines en argot ! « Au Nigéria on dit red eye pour parler de quelqu’un d’égoïste, et au Cameroun, c’est avoir du sang dans l’œil ! » A n’en pas douter, cette assoiffée ne laissera pas non plus tomber Break the beat, une compétition de beatmaking qu’elle co-organise depuis quatre ans. « J’ai pu observer que les beatmakers sont les plus mal lotis dans l’industrie de la musique, ce sont toujours eux qu’on paye au rabais alors que sans leur travail, il n’y aurait que des titres a capella. »


Rétrospectivement…


Impossible de donner à voir Marina Wilson sans évoquer les créatifs qui l’ont accompagnée. De Pharrell Williams au designer Kerby Jean-Raymond, qui « semble pouvoir créer ce qu’il veut », ou encore Virgil Abloh, le responsable design de Louis Vuitton. Le premier homme noir à occuper ce poste. Un dj aussi. Côté femmes, Lena Waithe, « une hyperactive qui produit des séries et des films ». Pour se ragaillardir parfois, Cheetah écoute « Energy » d’Iman Omari. Et regarde beaucoup de clips. Sur Instagram, elle suit des comptes qui touchent à l’éveil spirituel, la numérologie, la méditation, les cristaux. Celle qui « compte sur les doigts de la main, le nombre de fois où [elle] a pris l’avion » se revoit arriver en France il y a neuf ans. Elle se dit alors : « C’est pas mal, j’ai envie de voir jusqu’où je peux aller. J’aimerais pousser à l’extrême ce qu’il m’est possible de créer, sur des terrains où on ne m’attend pas. C’est ce que je veux faire dans dix ans : continuer à me surprendre. »

Par Emilie Drugeon
Photos de Tora Traoré

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