Asna Aidara, sculptee dans l’Ivoire
Derrière ses platines, Asna danse. Elle porte, telle une amulette, un bijou de cauris en cascade sur sa bouche et du nez jusqu’aux oreilles. Il chaloupe en rythme. Ces coquillages, parure dessinée avec son amie la créatrice ivoirienne Lafalaise Dion, elle les revêt dès lors qu’elle commence à mixer : c’est un jeu avec le public. Asna Aidara, 33 ans et DJ depuis deux ans préfère le terme de music explorer. Elle s’inspire des années 60-70, de groupes de jazz et de rumba,
De longs cils, les dents du bonheur, cette créative avec « 10 000 idées à l’heure » est une force tranquille. Avec ses pommettes hautes et constellées de grains de beauté, elle choisit ses mots, sereine et reconnaissante de ce que la vie lui donne. En réalité, on comprend très vite que c’est elle qui crée les étincelles. Asna Aidara va chercher, avec un bel empowerment, les matières inflammables nécessaires à son feu intérieur.
Au Bao Café, à Abidjan, elle lance à son nouvel ami DJ Charles, qu’elle veut apprendre à mixer. « C’est là-bas que tout a commencé et où j’ai rencontré toutes les personnes avec qui je bosse aujourd’hui. » Très rapidement, on lui offre sa place sur le line up. Un set de 20 minutes qu’elle n’est pas prête d’oublier.
Depuis, le collectif KamaYakoi a accompagné sa mise en lumière. Et Asna a creusé son trou au festival ABC au Burkina, à Afropunk, à Paris ou encore à l’Atlas électronique au Maroc. Elle joue avec les voix, les instruments, les sonorités du continent et toutes leurs ramifications, du Brésil à toute l’Amérique latine.
Carburant
« On a grandi avec Youssou N'Dour, Baaba Maal, Aretha Franklin, Bob Marley… » Sa famille partage le goût de la musique, de la danse surtout. Les parents, Sénégalais (d’origine mauritanienne pour le père), sont tous deux médecins. La fratrie, deux sœurs et un petit-frère, s’est expatriée, au Canada comme en France, mais Asna, elle, puise ses ressources à Abidjan où elle reste basée. Elle tient son « sang nomade » pour responsable de ses déplacements constants. Fruit d’une génération digital nomad, la voyageuse est aussi graphiste. Avant la musique, elle a suivi des études en communication puis travaillé dans le domaine de la pub. La crise de 2010-2011 en Côte d’Ivoire lui laisse le choix de partir à Dakar ou de reprendre ses études. Asna choisit la seconde option et s’initie au graphisme. « C’est par là que j’aurais dû commencer. Dans la com’, finalement c’est l’aspect créatif qui m’intéressait ; je ne savais pas à l’époque que j’étais plus « plastique ». Je me suis mise à mon compte. Créer, c’est réinterpréter son environnement avec une infinité de possibilités, de médium. C’est mon carburant. » En arpentant tout le milieu culturel et créatif, à la recherche d’un réseau, elle tombe sur le Bao Café. On connaît la suite.
« Je ne suis pas là pour vomir de la musique », ajoute-t-elle. Ce que la trentenaire souhaite par-dessus tout c’est d’être « actrice de la flore créative africaine ». Porter une vision, être utile, ambassadrice d’un « continent riche à tous les niveaux ». Et l’émissaire a des projets en pagaille. Kalaag, une marque de vêtements lancée avec sa sœur. Ou encore, une ligne de motifs de tissus imprimés qu’elle dessine à partir d’illustrations créées numériquement. Et tous les « dimanches en 15 », elle se réunit avec la jeune scène ivoirienne, des influenceurs.se.s créatifs et « complètement décomplexés », lors de La Sunday, soirée au sacré succès. Asna décrit un « truc qui a commencé de rien, dans un tout petit espace », devenu événement inclusif, underground, empreint d’excentricité. Une fête aujourd’hui suivie par plus de 16 000 personnes sur Instagram ! « On se rend compte qu’on a touché quelque chose. Nous avons tous conscience de sortir des anciens schémas de clivage. »
Féminin sacré
Bientôt, Asna complètera son cursus par un master en recherche graphique. Vêtue d’un chemisier tout simple, noir et blanc, elle sirote un thé menthe-pétales de rose, avec un sucre. Elle ne porte aucun bijou. Ses cheveux sont tirés par des tresses qui montent en chignon. Assumée, heureuse, équilibrée sont les mots qui viennent pour mieux la révéler. De ses propres dires, elle est « en paix avec son féminin sacré ». Elle aimerait que toutes les femmes puissent être consciente de leur potentiel et se libérer des carcans limitants. « Je remercie toujours le ciel d’être née femme car nous avons un immense pouvoir. » Toutes des créatrices en un sens, puisque les femmes portent la vie. Elle n’en a pas conscience mais Asna pourrait aussi se revendiquer du courant écoféministe, en pleine ascension de par le monde. « Avec des amis nous avons monté Greendrinks il y a deux ans, une association qui organise des rassemblements une fois par mois avec des acteurs de solutions. L’écologie chez nous, c’est plus qu’alarmant. J’aimerais faire plus, cela me tient énormément à cœur. De nombreuses multinationales se comportent dans nos pays comme elles ne se comporteraient jamais dans leurs propres pays, en déversant leurs déchets ou avec la déforestation. Nous sommes leur terrain de jeux. A son niveau, l’association organise des actions de dépollution et de sensibilisation. » Pour Asna, « rien n’est impossible ».
Par Emilie Drugeon
Photos de Tora Traoré