Germaine Acogny : “Pour moi la danse c’est la liberté”

“Pour moi la danse c’est la liberté

- Germaine Acogny

 

Les danses patrimoniales.

On a l'habitude de dire le terme « danses traditionnelles ». Ce sont les danses que les ancêtres nous ont léguées. Maintenant, j'y pense, Patrick Acogny qui a fait des études doctorales dans les arts du spectacle, utilise le mot patrimonial. Je trouve que c'est juste aussi. On peut utiliser les deux. C'est un patrimoine de notre pays. C'est la même danse. Donc traditionnelle. Je sais que ces danses s'exécutent dans les villages, dans les villes, je parle du Sénégal, quand il y a des baptêmes, des mariages, des cérémonies où les gens veulent marquer ces événements, on organise des sabars dans les cours de maisons, sur les places publiques et à ces occasions, il y a des danses par les femmes, pas les hommes. Ce que je regrette, c'est que les hommes ne dansent pas dans les sabars. Et je ne dis pas que c'est la civilisation du costume/cravate. Pourquoi ils ne peuvent pas s'exhiber ou montrer leurs talents de danseurs dans les sabars? C'est surtout ce que j'ai remarqué, ces dégradations. Pour moi c'est l'homme et la femme, le soleil et la lune, les étoiles, c'est tout un tout. 

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Quand Mudra a fermé ses portes en 82, je me suis exilée en Europe, puisque j'ai épousé un Allemand. C'était plutôt en France. On revenait régulièrement. Et je me suis dit qu'on n'a pas forcément besoin d'être dans une maison pour danser. On peut danser sous les arbres, à la plage etc... Donc il y a un vieux en Casamance, qui nous a adoptés. Il nous a donné un terrain. On a pu construire notre maison avec de la paille au toit. Là on invitait des danseurs de toute l'Europe. J'avais six mille adresses de professionnels. Ces danseurs, on les choisissait. On en prenait une quarantaine, pour vivre chez les villageois, pendant quatre semaines. C'est moi qui ai lancé cette mode. Pour qu'ils viennent s'imprégner de nos mœurs. Et dans ce village, quand on est arrivé, hommes et femmes dansaient. Mais de plus en plus, les hommes ne dansaient pas. « On dit que c'est pour les femmes ». Je dis : mais non ! Et pourquoi ? Surtout les vieux dansaient. C'était magnifique, absolument magnifique. Donc toutes les générations pouvaient danser ces danses patrimoniales. Et quand on amenait les danseurs européens dans ces villages, les villageois commençaient à comprendre que la culture, était importante et que ceux qui l’ont détruite viennent les apprendre, ça leur donne de la considération. L'étranger voit la beauté de ton village, de ta ville. Toi tu as l'habitude d'y vivre. Ça m'a donné l'idée que ces danses bien sûr, il fallait continuer, ne pas les laisser. Ce ne sont pas des danses de musée.

 
 
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Connaître l’histoire des danses de nos pays

Il faut se cultiver, voir l'histoire des danses de nos pays, cette trace qui reste. Le rythme est là mais la façon de le danser est différente. Quelque chose qui n'évolue pas meurt. Dans les villes, les femmes dansent. Mais quand la danse contemporaine est arrivée, c'était les hommes. On a dit que c'est un métier. Ils s'approprient toujours les choses, les hommes. Quand on a fait un concours « Afrique en créations » c'était Alphonse Tiérou qui avait conçu ça. Après, il faut collaborer, travailler et être ensemble. On n'est pas obligé de faire la même chose, mais être ensemble. Tiérou a toujours voulu diviser les gens. Malheureusement, parce qu'il se croyait tout puissant, parce qu'il avait écrit des livres, mais pour moi ce n'est ni un danseur, ni un chorégraphe. Il n'a rien signé comme chorégraphe. Il a écrit des livres et c'est grâce à ces livres « Danser l'Afrique » que j'ai lus qu'il disait que si les Européens viennent chez nous, les Africains vont comprendre l'importance de notre culture. Je l'ai contacté. On s'est vu en France, j'étais avec mon mari. C'était au moment où Mudra Afrique avait fermé ses portes. Il m'a donné son livre, m'a demandé de le présenter au président Senghor et à Maurice Béjart. C'est ce que j'ai fait. On ne peut pas être en concurrence. Je ne peux pas prendre sa chance, il ne peut pas prendre la mienne. Il faut de l'entraide. Il faut bien comprendre ça. J'ai donné ce livre au président Senghor. Il a vu le président. Il a voulu faire ses choses tout seul, sans m'en parler, tout seul en critiquant les autres. Après, il est devenu fou et Afrique créations m'ont appelée pour être la directrice. Tout ça, je le raconte parce qu'il faut être ensemble. Je ne dis pas qu'on est toujours uni. Mais vous voyez, il y a quand même des proverbes, des signes, des images, qui montrent qu'on n'était peut-être pas uni, que si on était uni, ce serait beaucoup mieux.

 
 
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Sans base, pas d’évolution

J'ai ensuite donné ma démission, pour m'occuper de l’École des Sables. Parce que les danseurs ont besoin de formation. On a besoin de formation de médecins, de danseurs aussi. J'ai repris la direction de Mudra Afrique. Parce que le président Abdou Diouf n'a pas voulu continuer cette belle expérience, mais ce n'est pas grave. C'est justement parce que c'était fermé que j'ai pu aller vers autre chose. Je le remercie, je ne le blâme pas. Voilà, il y a toujours cette continuité et quand on a créé l’École des Sables on a fait des recrutements. Le critère des recrutements, c'était qu'il fallait qu'ils connaissent leurs danses patrimoniales, parce que basées sur nos danses. Elles sont tellement complexes, tellement complètes. C'est une très bonne base de formation. Il faut voir. Je suis heureuse que ce soit urbain, contemporain, justement, il ne faut pas oublier la base de la formation que sont nos danses patrimoniales. En France, c'étaient les danses classiques et après les gens veulent se couper de toutes ces traditions. Maintenant ils font tout que pour le corps. Il n'y a plus cette technicité. Sans base on ne peut pas évoluer. Tu es fort dans ta culture dans tes danses, tu t'adaptes à toutes, ensuite à toutes les autres. On est en train de se plaindre que les jeunes ne s'intéressent plus aux danses traditionnelles ou patrimoniales. J'ai une amie qui va reprendre ces danses. A un moment je me suis posé la question. Les danses çà et là, c'est l'environnement qui les crée, n'est-ce pas ?

Quelqu'un qui danse dans la forêt ne danse pas de la même façon que celui qui danse au bord de la mer. C'est difficile. Les jeunes ne font plus l'initiation. Avant, avec l'initiation, on allait dans la forêt sacrée. Quelqu'un pour devenir un homme, un être humain il fallait être un bon danseur. Quand on a fait son initiation, quand on sort, qu'est ce qui fait que l'homme trouve sa place dans la société ? C'est la danse. Il danse. On a minimisé les femmes. Les Africains ont un grand respect pour les femmes. C'est la femme qui regarde le meilleur danseur et qui choisit. On pouvait choisir. Il y a aussi ces traditions qu'il ne faut pas oublier. On les transforme. A un moment donné aussi quand on amenait les Européens aux cours de stages de danse dans les villages pour qu'ils voient comment on vivait, on prend ce qu'il y a de bon.

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Quand tu danses n'oublie pas ton âme

Comme nos ancêtres les ont inventées. Il n'y avait rien. Ils ont inventé. Il n'y a pas de raison pour qu'une nouvelle danse n'apparaisse pas. Même cette danse contemporaine, on doit se l'approprier. Mais il faut que les jeunes se cultivent, connaissent le sens des danses pour pouvoir créer. Ils ont vu Souleymane Koly qui voulait qu’on se serve de cette technicité pour garder notre africanité. Donc quand il me disait que quand tu danses n'oublie pas ton âme. C'était de me rappeler d'où je viens et qu'on voit à travers mon corps d'où je viens. C'est ce qu'on essaie d'exprimer. 

A l’École des Sables on voyait la base traditionnelle des danses. Chacun vient expliquer dans quelle condition on les dansait. Ils ont une base de données dans laquelle ils peuvent piocher. Pour moi, la danse, c'est la liberté. C'est la résistance, sans parler, ni crier, je peux dire ce que je veux.

 

 

Propos recueillis par Saran Koly

Photos courtoisie Germaine Acogny

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