Elom 20ce, l’arctiviste
Elom 20ce, l’arctiviste
Son dernier album Indigo propose 15 titres aux influences traditionnelles et jazzy qui s’écoutent en continu. Un disque vintage sous la forme d’un vinyle, dans lequel le rappeur togolais rend hommage « aux petites gens qu’on ne considère pas ». Plus qu’un artiste, il se présente comme un arctiviste, néologisme d’un mouvement trait d’union entre art et activisme dont il se réclame. Portrait.
Casquette à l’envers, t-shirt ethnique customisé, pantalon en bogolan, barbe hirsute, Elom 20ce, la dégaine décontractée tient ses rendez-vous dans un café culturel à la déco en matériau recyclé, au centre de Lomé, la capitale togolaise. A l’issue d’une interview, l’artiste se prête à une séance photo. Très sollicité par les médias, Elom vient de rentrer expressément d’Accra au Ghana pour honorer ses rendez-vous. La pose photo vite expédiée, le voilà disponible pour l’entretien.
Et si vous vous présentiez ? Soupir. « A chaque fois c’est pareil. Je ne sais vraiment pas comment me présenter. » Elom Venceslas Khaunbiow alias Elom 20ce, « petit penseur panafricain », annonce-t-il dans un sourire. Derrière son apparente sérénité, Elom s’émeut à l’évocation de son parcours. De son enfance à sa rencontre avec le rap, du turbulent gamin curieux et avide de liberté qu’il était, au penseur à l’âme panafricaine qu’il est devenu, son destin semblait tout tracé, forgé par les épreuves et sans doute aussi par une histoire familiale peu anodine.
« J’ai grandi entre Lomé et une cité minière ; mes parents ont dû quitter le pays quand j’étais petit pour des raisons politiques. C’est ma tante et son mari qui m’ont élevé », confie-t-il troublé par cette rétrospection inattendue. Un passé qu’il a très rarement l’occasion de partager.
L’exil de ses parents éparpille la famille. Issu d’une fratrie de 4 enfants, c’est auprès d’une tante qu’il chérit par-dessus tout comme une seconde maman, que le futur rappeur s’épanouit. Une enfance heureuse malgré l’absence de ses parents. « On ne manquait de rien à la maison», raconte-t-il.
Tandis qu’il rentre au collège, les quelques visites à ses parents en exil au Ghana renforcent ses questionnements sur cette absence. Son père est en effet un commerçant florissant et les raisons qu’on lui avance peinent à convaincre le jeune Elom qui commence à se renfermer sur lui-même. « Au collège je me rappelle que j’ai commencé à me confier à un ami imaginaire à qui j’écrivais. » Songeur quelques instants quant à l’évocation de ses souvenirs, il reprend : « Je n’ai vraiment jamais pris la peine de me remémorer tout ça. »
Rappeur transgressif
C’est au collège qu’il attrape la fièvre du rap. Lors d’un événement culturel, quelqu’un interprète Qui sème le vent récolte le tempo de Solaar. « J’ai vu le truc, j’ai bloqué. Ça changeait de la musique qu’on subissait à l’époque. » Même si la rumba congolaise, l’afrobeat de Fela ou la chanson française de Souchon ou Cabrel — qu’il écoute à la maison — vont élargir sa culture musicale, le rap est un véritable électrochoc. Musique « bruyante » selon son oncle qui va renforcer son côté rebelle. « Le rap m’est tombé dessus et je me suis laissé piétiner. » Dans sa chambre, avec la radio cassette offerte par son père, il écoute des classiques de rap français comme US. De Kery James auquel il n’aime d’ailleurs pas être comparé, à Naughty by Nature, en passant par Mc Solaar ou Oxmo Puccino (avec lequel, sur Indigo, il fait J’ne pleure pas ce sont les oignons, en featuring avec Pépé Oleka).
Avec quelques scènes à son actif et désormais en famille à Cotonou, le jeune rappeur s’enthousiasme pour son premier studio. Ses performances lui laissent pourtant un goût amer. Ce qu’il entend ne reflète pas l’image qu’il a de lui. « C’est une chose de voir comment on se pense et une autre de voir comment on est vraiment. » Un rendez-vous manqué et une déception considérant toutes les économies qu’il a investies. Exigeant, il se remet à l’ouvrage pour soigner son flow qu’il trouve endormant. Le morceau ne sortira jamais malgré les encouragements des proches.
Au campus à Cotonou, il monte avec des potes le groupe de rap F2R (Faculté de Rap) qui ne fera pas long feu. « Le rap à l’époque c’était plus pour les fils à papa qui voulaient impressionner, surtout les filles. Ça m’a gavé, j’ai commencé à fréquenter des gens de la rue, du ghetto. » Et effectivement, le jeune Elom trouve un autre souffle dans la rudesse de la rue, un milieu fascinant qui inspire sa plume et lui donne des histoires vraies à raconter. « Ce qui nous rassemblait avec les gars de la rue c’était le hip-hop. Je fréquentais des coins où il y avait drogue et prostitution, loin du confort et du superflu, c’était la vraie vie. »
L’expérience tourne court quand il se retrouve impliqué dans des embrouilles. Il retrouve la maison familiale comme un refuge pour se reprendre. « Dans la rue, il y avait beaucoup trop d’attentes, c’était compliqué de faire de l’argent avec les morceaux qu’on faisait et puis il y a eu des brouilles, des problèmes de banditisme, ça devenait dangereux pour moi », révèle-t-il.
Avec le recul, c’est un épisode plutôt salvateur qui achève la transformation du jeune Elom désormais prêt à se lancer en solo. « Je suis allé dans la rue, elle m’a lessivé ; mais c’est grâce à elle que j’ai lu Africa must unite. Ce sont des caïds dans la rue qui m’ont parlé de Cheikh Anta Diop et m’ont révélé la littérature panafricaine. »
La musique, avant tout une transmission de l’émotion
Légitime défense, son premier projet solo en 2010, sonne comme une riposte, un exutoire à ce passage difficile de sa vie dans les rues de Cotonou. « Je canalisais ma douleur… C’est important la douleur, c’est essentiel même. Les gros carrefours de ma vie sont douloureux, c’est ce qui m’a construit. »
Deux ans plus tard, Elom produit Analgézik, un regain, un sédatif contre la douleur qui a suinté de Légitime défense. En 2015 sort son dernier album en date, Indigo, qui est à la fois son ode aux petites gens, avec un clin d’œil au jazz, aux rythmes traditionnels et à la spiritualité du continent.
Pour Elom 20ce, il faut du temps pour construire l’émotion à transmettre dans la musique. Vision à contre-courant de la tendance actuelle dans la production musicale qu’il fustige d’ailleurs. « La variation, le message, l’émotion, la technicité, c’est ce qui fait la musique, assure-t-il, mais aujourd’hui beaucoup de jeunes ne sont que dans la technicité, la performance. On vit l’ère du fast live avec du fast food, fast love, … du tout fast. Pour faire quelque chose de durable, il faut du temps. Rien ne se fait dans la précipitation. Quand on me demande si je suis fatigué d’Indigo, je réponds non, parce que j’ai envie de faire tous les clips, chaque morceau a une histoire à raconter », relève-t-il avant d’envoyer une charge sur la société de consommation actuelle. « On est dans une société où on n’aime plus les choses par amour, mais par intérêt. Le monde des puissants c’est l’intérêt, écraser les plus faibles », prévient-il. Son discours se fait tout de suite plus politique. « Regardez les Trump et autres Macron, comment Macron peut-il venir humilier un papa comme il l’a fait [en référence à la blague de Macron sur le président burkinabè lors de son passage à Ouaga, N.D.L.R.] ? On n’apprend plus aux gens que se sentir fort c’est dans l’humilité », déplore le rappeur excédé.
Ce désormais père de famille, au-delà de son activité artistique, travaille à temps partiel pour subvenir au besoin de ses proches. « Je ne conçois pas faire de la musique sans plus-value. Aujourd’hui il y a quelque chose qui m’intéresse plus : l’intime, comment raconter les histoires. Mon fils chante mes chansons que je lui fais écouter, la transmission c’est important. »
Art et Activisme
Elom 20ce reste reconnaissant envers l’art qu’il pratique et qui a donné une orientation à sa vie. « Le rap a failli me griller mais il m’a aussi sauvé. » Marqué par ses rencontres avec des penseurs du continent comme l’écrivaine franco-camerounaise Leonora Miano, ou l’historien franco-béninois Amzat Boukari, le rappeur togolais préfère s’investir dans quelque chose de vrai, de réel. Idéaliste, il dit se méfier de l’argent pour avoir eu un père riche, comme il le raconte dans Evangile selon les indigènes (in Indigo 2015).
Bien que faisant partie de sa vie, le rap ne suffit plus à Elom qui s’incarne désormais en arctiviste. Le projet Arctivisme voit le jour à partir du moment où l’artiste décide de descendre de la scène pour poser des actions concrètes avec la foule. « On ne peut plus rester sur scène et tenir des discours qui peuvent sonner comme donneurs de leçons », clame-t-il. Ce néologisme d’art et d’activisme se présente pour lui comme un engagement sociopolitique porté par l’art.
Un travail qui se décline via des projections documentaires sur des personnalités qui ont marqué positivement l’histoire de l’Afrique, peu importe leur origine, des discussions et/ou conférences sur des thématiques liées aux projections et une plateforme d’expression (danse, musique, graffiti, mode, conte… pour les artistes qui ont des choses à dire. « On m’a fermé beaucoup de portes parce qu’on me reprochait mon discours politique dérangeant. Je veux donner l’occasion à ces artistes de monter sur scène parce que ça reste le plus important pour un artiste. »
C’est aussi à travers les activités de son association Sema (« unité », en ancien égyptien), qu’il poursuit son engagement citoyen au Togo. Il est porteur de deux projets, Ciné reflexe (séances de projection de films documentaires en grand public avec échange et, La Feuille, le papier, initiative visant la valorisation des plantes (richesse de la pharmacopée locale), et du livre pour rendre accessible la pensée panafricaine. « Je ne peux plus me définir aujourd’hui seulement comme un musicien », justifie Elom 20ce. Et à juste titre d’ailleurs.